• Recit de course marathon parisien 2012 sur rue89

    16/04/12 12:41

    Recit de course marathon parisien 2012 sur rue89"Samedi, le riverain Dzibz nous racontait son appréhension avant d’entrer dans « la grande et belle famille des marathoniens ». Dimanche matin, il a couru dans Paris. Il a morflé et il raconte.

    Pendant mes cinq semaines d’entraînement, en gros, j’ai eu une vie de merde. Et c’est ce que j’avais à l’esprit en me levant ce matin, cette envie de ne pas avoir fait tout ça pour rien. 6h, le réveil sonne. Ça fait chier un dimanche, mais c’est pour la bonne cause.

    J’ai été chercher mon dossard jeudi, ça m’a permis de ne pas bosser, et on m’a filé tout plein de sacs avec des trucs miracles à manger pour battre les Kenyans.

    D’abord, j’ai testé le Gu. C’est du gel, je n’étais pas sûr que ça se mangeait en fait. Je n’en suis d’ailleurs toujours pas sûr. Mes mains collent toujours à cause de cette merde. C’est franchement immonde.

    Puis, appâté comme tout par le nom du truc, j’ai tenté The Power of Pistachos. Ma déception est de taille lorsque je m’aperçois que finalement, ce ne sont que des pistaches banales. J’espère néanmoins que le pouvoir des pistaches saura me transcender lorsque le 30e kilomètre arrivera.

    Finalement, je me contente de terminer ma gamelle de riz, de boire un coup de jus de fruit et de m’habiller fissa, l’idée étant de rejoindre la ligne de départ avec une petite heure d’avance, pour prendre la température.

    Dans mon métro, il n’y a que des coureurs. On les reconnaît facilement, ils ont tous le poncho dégueulasse « Marathon de Paris » en plastique qui, il faut l’avouer, ne garde pas du tout la chaleur, laissant au lieu de ça le vent s’engouffrer et gonflant en conséquence.

    Ainsi, ce sont 40 000 bonhommes Michelin qui sautillent sur place sur la ligne de départ. Je suis dans le sas des « 3h30 » (temps prévisionnel du marathon, NDLR), parce qu’ils ont dû merder aux inscriptions. Moi je voulais 4h30.

    Le 3h30, un sas de meufs canons

    Le 3h30, c’est un sas de meufs canons qui courent bien et de mecs qui courent avec les meufs qui courent bien. Je suis bien dans mon élément dans le sas 3h30. Je parle avec un Finlandais du marathon, il m’évoque de suite le « mur psychologique du 30e km ».

    Je prends alors conscience de l’ampleur du truc : pour rallier le 42e km, il faudra faire 42 kilomètres. C’est con à dire, mais 42km, ça sonnait jusqu’ici juste « marathon » pour moi. Là, j’ai compris qu’il faudrait passer par le 8e, le 22e, le 30e et aussi les autres. C’est voué à l’échec, pensais-je, avec cette incertitude caractérisant les intellos du premier rang avant un contrôle surprise.

    Parce que j’étais prêt, et il a fallu que je m’en convainque pour ne pas filer en douce et accrocher en cachette mon dossard pucé sur le dos d’un concurrent qui a de la gueule. Pour pouvoir dire « je l’ai fait » sans l’avoir fait.

    Quelques minutes avant la course, deux débiles commencent à danser sur une estrade et veulent qu’on les suive pour s’échauffer. J’analyse mes copains de sas, et vois quel œil dédaigneux ils jettent aux deux branquignoles. Donc je les imite, et ne danse pas. C’est un bide total. Une pistachos et c’est parti.

    En franchissant la ligne de départ, j’ai des frissons partout. « Bonne route », me lance une jolie blonde. « Merci », lui réponds-je, poli mais fébrile. Km 1 : C’était rapide… Je ne l’ai pas vu passer. Je pars sur les bases de 3h30, en me disant que si ça se trouve, ça peut passer.

    Dans ce cas, il ne me resterait qu’un film Titanic avant mon arrivée. Facile, je vais réciter Titanic dans ma tête pour penser à autre chose, et lorsque ce sera fini, je franchirai la ligne d’arrivée. Premier problème, je n’ai vu qu’une seule fois Titanic, et j’ai dû pioncer un peu pendant le film. Alors il faut convertir en un film que je connais bien. 3h30, c’est deux fois Les Bronzés font du Ski. OK, c’est parti.

    Km 10 : Docteur Jérôme Tarere a merdé sur son slalom, et va gueuler dans la cabine du speaker. Km 11 : La chanson des Schtroumpfs m’arrive dans la tête, sans que je ne comprenne trop pourquoi, niquant tout mon film. C’est la merde, j’ai repris conscience de ce que j’étais en train de faire.

    Après 10km, j’ai déjà mal au mollet gauche. Alors viennent les calculs : il ne me reste trois fois ça à faire. Sur le papier, ça paraît complexe. Je suis toujours avec le meneur d’allure des 3h30, qui est un type assez chouette. Il a plein de tatouages, et… putain tu fais quoi mec ? Le meneur d’allure avec son drapeau 3h30 se barre sur le côté de la route pour pisser. Alors je le suis et j’attends derrière lui.

    Et lorsqu’il repart, c’est avec l’idée de rattraper rapidement les quelques secondes perdues. Résultat, je ne peux pas le suivre, et je perds donc ledit meneur d’allure, sympa et tatoué. Je choisis de suivre une certaine Elenya, c’est écrit sur son tee-shirt, pour des raisons purement esthétiques.

    Km 15 : Elenya me lâche, et ça craint, rapport aux raisons purement esthétiques. J’ai l’impression de vivre le « mur psychologique » 15 km trop tôt. Je doute un peu beaucoup, mais m’accroche. Désormais, tous les 3h30 me doublent et me jettent des regards apitoyés. C’est que je n’ai pas belle allure, à moitié boitant, courant au ralenti. Je me force à ne pas marcher, mais putain j’ai mal.

    Km 16 : C’est le ravitaillement des bâtards. On te file avec un joli sourire des bouteilles d’eau, des oranges… Et les mecs te poussent par pure jalousie.

    « Restez pas là ! », qu’ils disent. « Putain les gars, il reste 36km et vous visez les 3h45. Sérieux, faut accélérer si vous voulez légitimer ce comportement de connards. » Et ils se taisent. J’étais énervé car fatigué. Je sentais que ça ne passerait fort probablement pas.

    A mi-course, mon père m’appelle 

    Km 20 : Je tape sur l’arche en criant « Yes ! ». Je me fais mal aux doigts. Au niveau du semi-marathon, appel de mon père, je décroche :

     - « T’en es où ? »

    - « Au semi »

    - « C’est tout ? »

    - « C’est tout. »

    - « Tu vas finir ? »

    - « De toute façon c’est mon chemin pour rentrer à l’appart. »

     Ca y est, je me suis remotivé, ça va le faire. Km 26 : Très soudainement, alors qu’on passe dans des tunnels où tout le monde crie, où ça résonne vachement, gros coup de mou. Je ne peux pas localiser ma douleur, mais faut absolument que je marche, sinon je pense que je vais mourir.

    Alors je marche, dans le tunnel, répondant méchamment aux gros connard de beaufs criant « Vous êtes fatigués », « Oui, et je t’emmerde ». Ça fait rire les coureurs qui me doublent. Des fois, ils me donnent une tape dans le dos en m’encourageant. Ça me rebooste… 100 mètres.

    Ah, un point sur les supporters : pour la première fois de ma vie je vous ai trouvés utiles. Faut savoir que chaque cri en mon honneur, chaque tape dans la main d’un môme fier comme tout, chaque banderole rigolote me file la niaque.

    Km 30 : Ca ne va pas mieux. Maintenant, chaque cri de supporter me fatigue, chaque gamin me tendant la main m’exaspère. Je morfle sévère, et comprends qu’il reste 12 km, ce qui est à mes yeux énorme.

    Je n’envisage pas trop d’abandonner, mais crever au bord de la route, pourquoi pas. Vomir, déjà. Des bananes et des oranges, avec de l’eau. Je ne mangerai plus jamais de banane ni d’orange. Je ne boirai plus jamais d’eau. A chaque ravitaillement, ce sont les seules alternatives.

    Km 31 : J’ai dû mettre deux heures pour faire le dernier kilomètre, je pensais arriver au 35e et me rendre compte en avoir loupé plusieurs. Mais non. Je galère, vomis parfois, et ne parle plus avec les coureurs qui me dépassent. Les meneurs d’allure de 4h me doublent maintenant et les filles sont beaucoup moins charmantes que dans le sas des 3h30. Ici, beaucoup de super-mamies.

    Km 35 : Bon, j’en peux plus. Vraiment plus. Faut que je marche. Et je recours très bientôt. Km 40 : Allez, remotive toi, tu marches depuis 5km au moins. Les premières foulées sont les plus dures, je grimace et souffre sa race. Mais ce sont les dernières foulées, c’est la fin des Bronzés, Léonardo di Caprio est en passe de crever.

    Arrivée : J’essuie ma larme, prends des gens que je ne connais pas mais qui puent la sueur dans mes bras. On me propose des bananes et des oranges, je décline, un tee-shirt de Finisher, je pense l’arborer à vie. Déjà demain, au boulot, pour me la péter grave. Et pour draguer. Maintenant, je pourrai dire aux meufs :

    « Je suis marathonien et ton père est un voleur, il a pris toutes les étoiles du ciel pour les mettre dans tes yeux. »"

    Source : Rue 89 et l'Equipe

     

    08/04/2012 11h11

    Qu’y a-t-il de pire qu’un premier marathon ? Un deuxième marathon

     

    QUESTION : Qu’y a-t-il de pire qu'un  premier marathon ?

    RÉPONSE : Un deuxième marathon.

    Mais ça, évidemment, je n’en avais pas du tout conscience lorsque j’ai validé mon inscription en ligne. A ce moment, tout était simple dans ma tête... L’an dernier, sans préparation, j’étais parvenu - non sans mal - à boucler les 42,195 km, cette année, avec une préparation appropriée, je serais à même de les boucler plus vite et plus facilement.

    C’était assez clair, mais un peu trop mathématique. Parce qu’il s’avère que mes jambes, ces nouilles, n’en ont rien à foutre des statistiques. Oui, genou gauche, c’est à toi que je m’adresse.

    68 euros, j’ai payé, je crois, l’inscription. Rétroactivement, je pourrais énumérer ce que j’ai acheté avec cette petite somme ; ça donne : - Un kg de raisins sec - Une élongation du genou gauche - Six demi-bananes, soit environ trois bananes entières - Cinq quartiers d’oranges, ce qui fait environ quelques oranges - Huit gorgées de Vittel dans huit bouteilles différentes - Une gorgée de Powerade Bleu aussitôt recrachée, mais ça compte quand même. Bref, c’est, convenez-en, de l’argent utilement dépensé.

    Dimanche, 5h30. Un réveil.

    La tête : « Sérieux ? ! Dimanche, réveil à 5h30 ? ! Non mais allô, quoi. C’est comme si en vacances tu mettais ton réveil à 5h30 ! »

    Les jambes : « Il va nous faire chier tous les ans avec son marathon de merde ? »

    La raison : « Hop hop hop, on l’a lu à la Running Expo, petit dej à 5h30, c’est obligatoire pour le transit pendant la course. »

    Le transit : « Je confirme. »

    J’ai noté tout ce qu’il fallait déjeuner pour réussir sa course, et j’ai tout acheté. Me voilà donc à avaler mes tranches de pain de mie avec de la confiture, mon jus d’orange et ma compote. Je conclus à 5h35, j’ai tout mangé. Ça devrait donc aller. Le départ sera donné à 8h45. Je suis à deux stations de métro. 3h10 d’attente, donc. 3h10 de stress, donc. 8h, c’en est trop, je rejoins mon sas.

    J’appartiens au clan des types qui comptent mettre 4h pour boucler leur marathon. Je me sens assez chez moi, dans ce clan, puisqu’à leurs dires, ce sont surtout des types qui veulent boucler leur marathon vivant, et n’ont pas la prétention de risquer d’y parvenir en moins de quatre heures.

    Les Kényans partent, puis les sas suivants jusqu’à ce qu’au nôtre soit donné le coup de pistolet aux alentours de 9h30. Cette année, aucune joie ni fierté à l’écoute des applaudissements fournis de l’avenue des Champs-Elysées, juste une énorme appréhension d’avoir bouffé du riz, bien dormi et d’avoir respecté une once de planning d’entraînement pour abandonner comme une merde au travers de la route.

    Oui, cette année, c’est la boule au ventre que je dévale l’avenue, dos à l’Arc de Triomphe. Très vite, stress aidant, je m’aperçois être très lent. Des pépés me doublent et déjà les meneurs d’allure de 4h15 se rapprochent. Je décide de m’intégrer à leur joli groupe. D’ailleurs, je m’y sens bien. Sur un rythme pas bien rapide je me fais des copains, et crie « OUAIIIIIIS » quand le meneur d’allure crie « Vous êtes là les 4H15 ? ? ? ? ? »

    5e km, premier ravitaillement. Les bananes ne sont pas épluchées, c’est Mario Kart sur le bitume, rapport aux peaux de celles-ci balancées deçà delà par leurs consommateurs. Je parviens à ne rien me casser. De bon augure, tout ça.

    10e km, je suis enfin en pleine forme. Le transit ne fait pas chier, mais par contre j’ai très faim. Ravitaillement, je prends une grosse poignée de raisins secs dont je m’empiffre ni une ni deux. Ainsi commence une addiction. Je n’aurai de cesse sur le restant de la course de compter les kilomètres non pas avant le prochain ravitaillement, mais avant la prochaine grosse poignée de raisins secs.

    Je séquence énormément ma course, d’ailleurs, dans ma tête. Ca donne un truc du genre :

    La tête : « J’ai à peu près fait les cinq huitièmes de la course en admettant qu’au quarantième c’est fini »

    Le reste du corps : « Ta gueule. »

    Le transit : « Moi ça va bien. »

    Grosse erreur, dans le dialogue approximatif - les organes ne parlant pas réellement - retranscrit ce-dessus : au quarantième, ça n’est pas fini. Le prochain que j’entends me dire « un marathon, c’est quarante kilomètres et des bananes », je le bute. Un marathon, c’est 42,195km et des raisins. Que ce soit bien clair. 21 virgule 195/2 km, c’est le semi.

    J’y passe plutôt confiant, assez en forme, assez joyeux. Le téléphone sonne, c’est ma Mami du Calvados. Elle appelle pour me souhaiter ma fête. Je suis mi-agacé mi-vénère :

    « Bonne fête mon Dzibz !

    - Je cours, là, Mami...

    - J’ai vu à la télé que c’était ta fête alors je t’ai appelé !

    - Oui mais là c’est le marat...

    - Comment vont ton frère et ta soeur ?

    - Je cours, Mami !

    - Tu cours ?

    - Oui, c’est le marathon de Paris.

    - Ah, alors bon courage, et surtout bonne fête, parce que j’ai vu à la télévision... »

    Au 22e, après ce pathétique coup de fil, un premier coup de mou. Plus que 3km avant les raisins, me motivé-je. Et ça repart, comme par enchantement. Il faut attendre le 30e km pour qu’un truc super fun m’arrive.

    30e kilomètre, mon genou explose. 30,01e kilomètre :

    Mon genou : « Putain de bordel de merde. »

    La tête : « Non, ça va, c’est rien, c’est rien. »

    Le transit : « Moi ça va bien. »

    31e km, la douleur me force à marcher, le temps de récupérer et de voir si d’aventure le plier un peu ne le soulagerait pas. Ça ne le soulage pas. Et marcher empire la situation. Il ne se plie plus du tout. L’abandon n’est pas loin, mais mon père et mon amoureuse m’attendent à l’entrée du Bois de Boulogne. Si je n’y vais pas, c’est la lose.

    Alors je boitille tant bien que mal, sous l’oeil apitoyé des spectateurs. Mention spéciale à cette anglaise arborant la pancarte « Run, zombies are behind you ! » (« Courez, les zombies sont derrière vous !) et s’écriant en me voyant boitillant : “Zombies are here !” (“Les zombies sont là !”).

    Aparté : niveau pancartes, cette année, je mets ma meilleure note à ces personnes aux alentours de Bastille déployant une grande banderole : “C’est toujours tout droit.”

    35e km, j’ai vu tout ce beau monde devant le Bois de Boulogne, ils avaient l’air vachement contents de moi, même s’ils m’ont attendu plus longtemps que prévu, la faute au genou.

    Malins sont-ils, me dis-je, me voici maintenant au Bois de Boulogne, demi-tour je ne peux plus faire. Alors je marche, je crache et partage avec les galériens ma galère. “C’est dur, hein ?” “Oh ben oui alors, courage, courage !”

    36e km, les passants commencent à crier : “Plus que cinq kilomètres !”. Et moi de leur répondre “NON, 6,195 PUTAIN !”. 40e, j’en ai plein les baskets, mon genou se tord dans tous les sens, et même marcher devient insupportable. Ce serait vraiment trop con d’abandonner là. Il en reste deux. Il n’en reste que deux.

    L’estomac : “PLUS QUE 2 AVANT LES RAISINS !”

    La tête : “NON, 2,195”.

    42e, il reste 195m, 195 foulées, 92,5 de la jambe gauche, 92,5 coups de poignard dans le genou gauche. La dernière ligne droite est affreuse, mais l’Arc de Triomphe est bien là. Au chrono, 4h59 et des bananes. Non, 4h59’34’’. Et des raisins, ensuite.

    Source : Récits de Dzibz sur Rue89

    Source photo : L'equipe

     

     
     
     

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